lundi 5 janvier 2015

Muer ou changer de peau

« Pour faire une omelette, il faut casser des œufs », disait Freud. Essentiellement, toute transformation exige une rupture. D’abord et avant tout, avec soi-même.

Ce phénomène apparaît clairement partout dans la Nature, mais il est particulièrement évident chez les crustacés. Animal à squelette externe, ou exosquelette, le crabe, comme d’autres crustacés, certains insectes et araignées, doit changer de carapace au cours de son développement, celle-ci étant devenue trop petite et donc inadéquate à sa croissance.

Durant cette période de transition appelée mue de croissance, l’animal se retrouve cependant vulnérable aux blessures et aux prédateurs, étant provisoirement démuni d’une carapace protectrice.

Symboliquement, il en est de même pour l’être humain. Non seulement nous ne possédons jamais le même corps, laissant derrière nous celui de l’enfance, de l’adolescence, et même celui d’hier, mais nous sommes continuellement appelés à nous transformer, physiquement et psychologiquement, en somme, à changer de peau.

Organe porteur de notre histoire et de notre identité, la peau se caractérise notamment par son exceptionnelle capacité de régénération. Nous laissons sans cesse des traces de nous-même au passage, des milliers de cellules portant l’essence même de notre identité génétique contenue dans l’ADN, mais similairement au crabe, nous délaissons aussi de « vieilles carapaces » sous forme d’anciens préjugés, comportements ou mécanismes de défense devenus obsolètes au fil du temps.

Or, avec chaque cellule qui s’envole surgit également une opportunité de renouvellement, une occasion de croître, de changer, de se métamorphoser. Afin de devenir qui on est foncièrement, cet être sommeillant en nous comme le chêne latent dans le gland, un point de rupture est non seulement inévitable mais nécessaire.

Muer et changer de peau, c’est aussi mourir un peu chaque fois, et tel un phénix, renaître de ses cendres. Encore faut-il accepter l’extrême vulnérabilité qu’exige la mue de croissance, ce passage obligé de l’évolution.


« Vint un temps où le risque de rester à l’étroit dans un bourgeon était plus douloureux que le risque d’éclore »  - Anaïs Nin (1903-1977) -