lundi 3 octobre 2016

Cheveux, poils et pilosité politique

On les décolore pour mieux les teindre, on les tresse, les greffe, les coupe, les peigne, les attache, ou bien les laisse en bataille. Certains les exhibent fièrement, d’autres les dissimulent sous un voile opaque. Plus qu’un simple poil à la surface de la peau, les cheveux sont des symboles identitaires forts, porteurs de messages et parfois même de grands changements.

Pour l’homme, la pilosité est d’abord un symbole de force et de virilité, d’où la tonte des cheveux et des poils faciaux lors de l’entrée monastique ou militaire. Par ce rituel de conformité, l’individualité s’estompe pour nourrir la puissance du groupe.

Chez la femme toutefois, outre leur fonction identitaire - on désigne généralement les femmes, tout comme les bières d’ailleurs (1), à leur chevelure (une blonde, une rousse, une brunette, etc.) - les cheveux incarnent la séduction et la sensualité. Dans « La naissance de Vénus », par exemple, œuvre de Sandro Botticelli du 15ième siècle, la déesse de la beauté est représentée avec de longs cheveux blonds animés par le vent dont les pointes, telle une flèche liant les deux régions pileuses, servent également à couvrir son sexe. 

Le lien entre la chevelure et la sexualité féminine incite certaines religions et sociétés à dissimuler les cheveux des femmes mariées, en deuil, si ce n’est pas toutes les femmes d’un pays. En particulier lorsqu’ils sont détachés, et donc libres, les cheveux de la femme apparaissent comme une affirmation immorale, une provocation.

Pour cette raison, raser la tête d’une femme est un acte punitif - on rasait la tête des femmes qui avaient fraternisé avec l’ennemi à la fin de la seconde guerre mondiale, entre autres. Servant de châtiment, d’humiliation sur la place publique, la tonte des cheveux a pour but de désexualiser la femme, de lui retirer ses « atouts ». Fait volontairement toutefois, le rasage du crâne devient alors un geste d’insurrection, de contestation, de dénonciation ou encore de sensibilisation.

À l’inverse, c’est la pilosité abondante et hirsute qui symbolise chez l’homme une forme de rébellion. En portant les cheveux longs, les hippies des années 60 s’affichaient contre l’« establishment » et la guerre au Viêtnam. De même, à la fin des années 50, Fidel Castro, en tête de la guérilla et de la révolution cubaine qui allaient chasser Batista et les Américains du pays, arpentait la Sierra Maestra accompagné des Barbudos (les Barbus) qui comprenaient Camilo Cienfuegos, barbu adulé à Cuba, et Ernesto « Che » Guevara, sans doute le révolutionnaire échevelé le plus populaire au monde.

Associée à un haut taux d’hormones mâles comme la testostérone, et donc chargée d’agressivité et de forces combattantes, une pilosité drue devient pour l’homme une arme politique, un symbole de force et de résistance. Cette tendance a toutefois été renversée dans les années 70 par le mouvement punk, le port du Mohawk incarnant la révolte carrément.

Malgré les tabous et le caractère « méchant » associés aux poils faciaux (2), on observe depuis quelques années le retour en force du port de la barbe et de la moustache chez les jeunes hommes de la nouvelle génération. Signe de changement sociétaire? D’une révolution latente émergeante? Ou simplement une mode, un effet du Movembre (3) par exemple? 

Esthétiques, rituels, identitaires ou politiques, les poils du corps incarnent de nombreux rôles sociaux, en plus de jouer leur fonction physiologique d’informateurs tactiles (voir aussi Piloérection et horripilation). 

Hautement sollicités, ils sont à un poil près de s’arracher les cheveux. 

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(1) L’étiquette arborant un personnage féminin à longue crinière, une microbrasserie québécoise a poussé l’association entre la femme et la bière encore plus loin en nommant ses produits « La Matante », « La Chipie », « La Veuve Noire » ou « La Tite’Kriss ». De quoi faire dresser les cheveux sur la tête. 

(2) Dans les films, les bandes dessinées et les dessins animés notamment, les « méchants » portent habituellement la barbe (le bandit Yosemite Sam dans Bugs Bunny), une fine moustache originale (Capitaine Crochet dans Peter Pan ou Jafar dans Aladin) ou bien une pilosité rare ou douteuse mais proéminente (les favoris et les sourcils de Gargamel dans les Schtroumpfs), sans compter tous les personnages de motards, de pirates, de voleurs et d’assassins plus barbus et échevelés les uns que les autres. Afin de contrer ce mythe, des groupes d’hommes à travers le monde, les « Bearded Villains », se sont donné pour mission la loyauté et le respect en participant à des œuvres de charité et des bonnes actions. 

(3) Movembre est un événement qui cherche à sensibiliser la population aux maladies masculines, comme le cancer de la prostate par exemple, en invitant les hommes du monde entier à se laisser pousser la moustache durant tout le mois de novembre - la fusion des mots moustache et novembre donnant Movembre.