lundi 2 mars 2015

La danse, la folie et les femmes


La danse et les mouvements du corps sont bien souvent associés à la folie. Dans certains contextes, ils incarnent le chaos, le désordre, l’agitation dérangeante.

On n’a qu’à penser aux Ménades (1) ou encore à la danse de Saint-Guy, cette maladie neurologique, aussi appelée chorée de Sydenham, causée par une infection à streptocoque affectant les nerfs et provoquant par le fait même des convulsions, soit des contractions musculaires et des mouvements involontaires du tronc et des membres.

D’ailleurs, Saint-Guy est non seulement le saint patron de la danse, du théâtre et des arts de la scène, mais aussi des épileptiques. Surnommé le « mal sacré » ou « mal de Saint-Jean » au Moyen-Âge, l’épilepsie a longtemps été considérée une possession du corps et de l’esprit en raison des mouvements convulsifs provoqués par la crise elle-même. On appelait alors les personnes atteintes les « danseurs de Saint-Jean ».

Car plus souvent qu’autrement, un corps en mouvement évoque un être frénétique, un individu ayant perdu le contrôle de soi, du corps, et donc de l’esprit. Les mouvements inapprivoisés représentent cette perte de la raison, le déchaînement de pulsions et de désirs irrépressibles, ou encore la présence de forces occultes incontrôlables, voire maléfiques. En ce sens, la danse symbolise cette folie faite de chair et de sang.

L’hystérie, par exemple, illustre bien ce rapport fascinant qui existe entre les mouvements du corps et l’irrationalité. Issu du courant psychanalytique à la fin du 19ième siècle, cet « excès émotionnel incontrôlable » trouve son origine dans l’Égypte ancienne. La théorie stipulait en effet que l’utérus en déplacement dans le corps provoquait des symptômes physiques inexplicables, des infections ou encore un trouble névrotique réservé aux femmes évidemment - le terme hystérie provenant du mot grec hystera qui signifie utérus ou matrice.

En réalité, toute femme à l’époque qui affichait une sexualité inassouvie était considérée « hystérique ». L’histoire nous le montre bien, les femmes ont toujours été considérées « folles » du moment où elles exhibaient des traits ou des comportements définis à tort masculins comme la colère, l’agressivité et la sexualité. Alors vue « dénaturée », la femme est dite empreinte du « désordre » (2) et donc atteinte d’un trouble mental quelconque.

De fait, une femme « dérangeante » est nécessairement « dérangée » (notons que le concept hippocratique de la « femme dérangeante » a bel et bien existé en médecine antique) et de suite perçue comme une « hystérique », une « névrosée », une « furie » (3) victime d’emportement, ayant perdu la tête, et donc, par extension, la raison. Autrement dit, c’est une « folle à lier » qu’il faut attacher, ligoter au lit (psychiatrique évidemment) afin de contraindre les mouvements du corps, et surtout, d’émancipation.

D’ailleurs, dans son essence, la femme est vue privée du contrôle de soi et des « vertus » de la pensée logique et raisonnable propre à l’homme. À ce propos, le mot vertu provient du latin virtus, dérivé de vir qui signifie « homme » et qui a donné « viril » et « virilité ». Le terme virtus servait à désigner la force morale et la discipline de « l’homme rationnel » et bien pensant, s’opposant au caractère « impulsif » et « irrationnel » de la femme.

Un autre mythe qui remonte à la nuit des temps.


Bonne Journée internationale de la femme (8 mars).


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(1) Dans l’Antiquité gréco-romaine, les Ménades (ou Bacchantes chez les Romains) étaient des femmes qui accompagnaient le cortège dionysiaque pratiquant des danses « furieuses et délirantes ». Le terme Ménades provient du mot grec maniais signifiant « esprit égaré » qui a donné le mot manie que l’on retrouve en médecine psychiatrique, notamment dans la phase dite maniaque de la bipolarité.

(2) Soulignons qu’en anglais le mot disorder sert à désigner les troubles mentaux.

(3) Furie : « femme emportée et méchante » (dictionnaire).